Suzanne Giraud

Contact Suzanne Giraud compositrice contemporaine française

Compositrice Composer Komponistin

Élaboration

2000, Élaboration, musique de chambre, duo

Durée : 10′

Effectif : Alto et piano

Dédicataire et Commanditaire : Vincent Royer et Jean-Philippe Collard

Création : 28 février 2001, Köln Akademie der Künstler, Vincent Royer, Jean-Philippe Collard 

Edition Musicale Jobert (Edition Musicale Henri Lemoine)

Notice d’Élaboration

Composé au cours de l’été 2000, Élaboration pour alto et piano marque une étape importante dans la création de Suzanne Giraud. Cette œuvre d’une douzaine de minutes est en effet le fruit d’un nouveau mode d’écriture que le compositeur entend exploiter dans ses partitions futures. Mais s’il s’agit d’un « laboratoire » pour des œuvres en devenir, cet aspect atelier ne se ressent nullement à la lecture de la partition, et ses premiers interprètes ont été frappés par l’exceptionnelle expressivité de cette pièce qui met particulièrement en valeur les sonorités feutrées de l’alto somptueusement soutenues par un piano aussi fondu que virtuose.

Élaboration découle des retrouvailles en 1986 de Suzanne Giraud et de son condisciple strasbourgeois Vincent Royer, alors altiste de l’Ensemble Köln de Robert H. P. Platz lors de répétitions de La dernière lumière que l’ensemble s’apprêtait à emmener en tournée en Allemagne. Envisagé tout d’abord pour alto seul, ce qui allait devenir Élaborationassociera finalement le piano à l’alto, Vincent Royer souhaitant inscrire une partition nouvelle au répertoire du duo qu’il venait de constituer avec le pianiste belge Jean-Philippe Collard.

Bien que suscitant la mise au point d’un nouveau procédé de composition, Élaboration se situe dans la continuité d’Éclosion pour guitare. Suzanne Giraud organise ici tout d’abord la totalité de la structure de l’œuvre, avant d’en fixer les cadres en d’amples sections ce qui permet d’obtenir une cohérence parfaite tout au long de la genèse de la partition, son auteur pouvant ainsi écrire dans la continuité de son inspiration, tel un flux infini. Suzanne Giraud ressentait en outre la nécessité de composer plus rapidement. Gardant à l’esprit la globalité de l’œuvre en cours d’écriture alors qu’elle en peaufine le détail, le compositeur peut de ce fait avoir de la conception d’ensemble une vision claire et synthétique. Elle délimite ainsi trajectoires, modes de jeu, sonorités qu’elle souhaite obtenir entre le piano et l’alto. « Élaboration est un laboratoire de chimie, confie Suzanne Giraud. Je pense pourtant que l’image sonore finale est extrêmement poétique, mais une poésie dans l’esprit d’un tableau géométrique, un Mondrian ou un Paul Klee de la période anguleuse, puisqu’il s’agit de la mise en relation d’angles, de couleurs, etc. ».

Élaboration est en effet une subtile alchimie entre deux instruments aux sonorités et aux timbres disproportionnés. La partie de piano fait un large usage de la troisième pédale à partir d’une note non exprimée au-dessus de laquelle tout le passage s’inscrit en partiels* [La note non exprimée est une note appuyée au piano et tenue par la troisième pédale sans être jamais touchée alors que toutes les notes jouées font résonner des partiels]. Suzanne Giraud sait d’expérience, puisque altiste et pianiste de formation, que le timbre de l’alto est l’un des plus délicats qui se puissent concevoir. Ce qui oblige le pianiste à contenir sa force pour préserver l’équilibre entre les deux instruments. « En décidant d’utiliser la troisième pédale, dit Suzanne Giraud, j’ai imaginé une écriture qui ne fait que suggérer les capacités harmoniques du piano. En fait, son écriture est quasi monodique ou en doubles notes, imitant celle de l’alto. Le piano ponctue le discours par des signaux en accord, mais les deux instruments utilisent alternativement des procédés identiques sur les mêmes notes ». Ainsi, lorsque l’alto joue des pizzicati, le piano expose dans le passage qui suit des notes piquées sonnant tels des pizzicati, et lorsque l’alto énonce des notes répétées en doubles cordes, cette formule se retrouve au piano, exprimée par un jeu de canons ou d’imitation.

La partition d’Élaboration compte 493 mesures subdivisées en trois parties d’égale durée qui s’enchaînent sans interruption, mais exposées dans des tempi distincts, le morceau central se développant sur 71 mesures et le finale sur 355 mesures. La première partie de l’œuvre se déploie sur un tempo modérément enlevé, la noire à 80 pulsations, le mouvement médian est plus lent, la noire à 54, mais cette impression de lenteur est annihilée par une division rythmique resserrée. Le tempo du finale est extraordinairement rapide, 168 à la noire, ce qui exige des interprètes une dextérité extrême. « La musique est mouvement, et le mouvement est la vie même, dit Suzanne Giraud. Or, à chaque pièce nouvelle que je compose, j’ai le sentiment d’apprendre davantage à écrire le mouvement. Cette noire à 168 permet en outre de penser à la blanche pour obtenir entre autres des irrationnels par deux, de grands quintolets et autres modes d’écriture que j’apprécie particulièrement, parce que cela permet de déstabiliser passagèrement la pulsation ».

Élaboration englobe de grandes plages gouvernées par une syntaxe en constante évolution qui permet à tous les paramètres, hauteurs, dynamiques, divisions rythmiques, de se mouvoir au sein d’une forme préétablie. « Je me sens de plus en plus sûre de moi quant à ma façon de saisir l’écoute, reconnaît Suzanne Giraud. Pas seulement l’écoute, mais aussi la mise en vibration de l’auditeur, dont je m’approprie aussi la pulsation cardiaque ». Le propos poétique à l’origine de l’œuvre est la magie sonore exceptionnelle entre l’alto et le piano et l’inscription de cette alchimie dans un parcours qui emporte l’auditeur et le projette, alors même que se projette la forme. Fusion de procédés qui engendre une expressivité paradoxale.

« Dans Élaboration, rappelle Suzanne Giraud, j’entendais obtenir un lyrisme qui émane non pas d’une contrainte, mais de sensations, de l’observation intime de la perception musicale, du fait d’oser l’organiser pour qu’elle soit efficace et saisisse d’irrésistible façon. Dans ce duo pour alto et piano, la contrainte est à son comble, puisque l’alchimie entre ces instruments est un défi quasi impossible à relever. Il m’a fallu faire l’impasse sur un certain nombre d’aspects du piano, admet le compositeur. C’est là qu’est intervenue ma subjectivité. Souhaitant traiter ce qu’il y a de plus captivant dans l’alto, ses graves, j’ai été contrainte de renoncer à des particularités du clavier sans le museler. Il m’a donc fallu imaginer une autre façon de le traiter. Dans Élaboration, j’en ai fait un piano jouant longuement sur une seule portée, ce qui ne signifie pas pour autant que sa partie ne soit pas difficile. Du seul point de vue musculaire, il se trouve dans la partition quantité de notes répétées pianissimo, ce qui sous-tend que le pianiste contient sa force et qu’il soit capable d’une précision hors norme ».

La « tournure » qui gouverne Élaboration n’a pas d’équivalent dans tout le répertoire existant. Éprise d’architecture, Suzanne Giraud, comme l’ensemble de sa création, appuie son duo pour alto et piano sur des croquis qui ne sont pas sans évoquer des plans d’architecte. « Une architecture qui ne ressemble à rien, assure néanmoins le compositeur, mais il est vrai que les réalisations des grands architectes me fascinent, notamment ce qui a traversé les siècles, ponts, pyramides et cathédrales. J’aime traduire la fascination par un mode de construction qui s’inspire de la sensation profonde que nous avons de l’harmonie. L’harmonie de ce qui part du sol pour aller vers le ciel en incluant la taille de l’homme, donc l’idée d’élévation marquée de traits d’union ».

Bruno Serrou

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