2006, Rimbaud, musique vocale, musique de chambre
Durée : 13′
Effectif : Mezzosoprano, flûte, alto, piano
Texte : Arthur Rimbaud
Création : 16 mai 2009, à Paris, La Péniche-Opéra
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Presse
Suzanne Giraud, entre fièvre et ferveur
Dans son décor cinéma et l’intimité de ses fauteuils bleus, L’Archipel accueille Suzanne Giraud – dont nous vous présentions récemment l’opéra pour un concert monographique où seront entendues cinq de ses œuvres pour petites formations. Si le programme de la soirée semble quelque peu minimaliste en regard des quelques quarante opus inscrits au catalogue de la compositrice, encore permet-il au public de s’acclimater à son univers particulier et d’appréhender sous différents angles un style et une pensée confrontés, sur un parcours de près de vingt-cinq ans, à différentes configurations vocales et instrumentales. En outre l’auditoire a la chance d’entendre l’auteure présenter elle-même ses œuvres, en dévoiler la genèse et en livrer quelques clés d’écoute.
Le concert débute par le cycle de mélodies pour piano Le bel été, sur un sonnet en alexandrins d’Yves Bonnefoy. Répondant à une commande de La Péniche Opéra en 2002, cet opus fut écrit à l’origine pour baryton et piano ; nous l’abordons donc dans une version adaptée pour mezzo-soprano. Les sonorités raréfiées et la complicité mystérieuse entre le timbre singulier d’Isabel Soccoja et le piano joué à plusieurs reprises dans les cordes (évoquant comme une harpe antique) font monter la tension jusqu’à l’angoisse, donnant à chaque mot des résonances qui, au cœur de ce bel été, finissent par glacer.
Première œuvre pour piano inscrite au catalogue de la compositrice, Zéphyr (1999) renoue avec le jeu traditionnel du clavier et une virtuosité presque lisztienne, brillamment incarnée par François Kerdoncuff qui fait vibrer tout l’instrument et sollicite la totalité d’un spectre aux résonances agrandies par une pédale généreuse. Comme le précise Suzanne Giraud, Zéphyr est chez les grecs un vent d’ouest puissant qui réussit à transpercer de ses flèches la belle Danaé pour la punir d’avoir surpassé Vénus en beauté. Si la pièce fait usage d’un certain éclat pianistique, on y sent se déployer une violence contenue qui entretient des girations obsessionnelles et des zones d’ombre un rien inquiétantes.
Renonçant aux titres poétiques et suggestifs qu’elle affectionne, Suzanne Giraud mène dans Élaboration (2000) pour piano et alto (deux instruments qu’elle a elle-même pratiqués) un travail plus structurel où s’élabore une alchimie subtile entre des timbres a priori difficiles à concilier. Soumise à une écriture sans concession, la partie d’alto, imitée et agrandie par le jeu du piano, accomplit une trajectoire étonnante qui doit « emmener l’écoute vers l’émotion ». Saluons la performance de la jeune altiste Delphine Anne qui, aux côtés de François Kerdoncuff, fait apprécier la gravité ardente et directe de son jeu.
Avec un égal engagement et une belle présence scénique, Clara Novakova interprète à la flûte Afin que sans cesse je songe, relectured’une chanson de Clément Janequin dont Giraud emprunte le matériau mélodique des quatre derniers vers. À l’issue d’une démarche jusqu’au-boutiste où le thème est brodé, amplifié, métamorphosé par une écriture qui met en jeu toutes les potentialités de l’instrument jusqu’à l’engagement scénique de l’interprète, la flûtiste inscrit au creux de la matière sonore les mots du titre qu’elle mime dans l’espace, comme pour en faire rejaillir en négatif l’empreinte poétique originelle.
Ce n’est finalement pas la création mondiale de Rimbaud (d’après le poème éponyme d’Arthur Rimbaud) qui réunira les quatre musiciens : terminée tout récemment, cette œuvre ne put encore se glisser sous leurs doigts… Opérons donc à un retour aux origines avec une pièce ayant été l’objet d’un récent enregistrement (Galun Records) : Ainsi la lune pour flûte, piano et mezzo-soprano (1986), seconde version de Sept en exil (1982) plusieurs fois remaniée, dans sa version définitive, met en musique un poème de Michel Leiris. Musique chaleureuse et concise où s’affirment déjà, dans une unité musicale et poétique, les liens secrets et indéfectibles qui, dans l’univers de Suzanne Giraud, unissent sens et sons.
Michèle Tosi
L’Eternité, Arthur Rimbaud
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
Ame sentinelle,
Murmurons l’aveu
De la nuit si nulle
Et du jour en feu.
Des humains suffrages,
Des communs élans
Là tu te dégages
Et voles selon.
Puisque de vous seules,
Braises de satin,
Le Devoir s’exhale
Sans qu’on dise : enfin.
Là pas d’espérance,
Nul orietur.
Science avec patience,
Le supplice est sûr.
Elle est retrouvée.
Quoi ? – L’Eternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.
Arthur Rimbaud, Derniers vers