Suzanne Giraud

Envoûtements VI

2003, Envoûtements VI, ensemble

Durée : 17’

Effectif : 6 percussionnistes

Commanditaire : Festival Musica et les percussions de Strasbourg

Création : 8 octobre 2003, Festival Musica de Strasbourg, Les Percussions de Strasbourg

Edition Musicale Jobert (Edition Musicale Henri Lemoine)

Notice d’Envoûtements VI

C’est au travers d’œuvres successives que Suzanne GIRAUD a recherché instinctivement, puis mis consciemment au point un ensemble de formules qui puisse répondre par la musique mise en parallèle avec l’architecture à une quête de proportions susceptibles d’engendrer par elles-mêmes une dynamique sous-jacente et irrésistible.

Objectif aussi ambitieux qu’obsédant, que Suzanne GIRAUD poursuit en se ressourçant à toutes sortes de lectures, à des apprentissages, à la fréquentation de monuments et d’œuvres d’art, ces proportions se révèlent à elle petit à petit, par la transposition de tableaux ou de façades de monuments en œuvres musicales.

C’est ainsi qu’elle compose, en 1985, L’Offrande à Vénus pour flûte, clarinette, harpe, percussion et quatuor à cordes, son œuvre la plus connue et la plus jouée, composée d’après le tableau éponyme du Titien et la « maison de Vénus » vue à Pompéi.

En 1996, à la demande du festival MUSICA, Suzanne GIRAUD écrit pour Irvine ARDITTI les premiers de ses Envoûtements, pour violon seul. Dès la première écoute, on perçoit dans cette œuvre d’une dizaine de minutes un ensemble dynamique cohérent, subdivisé en volutes sonores dont les proportions parfaites diffusent par elles-mêmes une force peu commune. Ce succès incite alors Suzanne GIRAUD à faire de ces Envoûtements le point de départ d’une succession.

Par un harmonieux hasard, elle reçoit au même moment des commandes pour deux (Orchestre de Chambre de Paris), trois (festival de Dresde) et quatre (État et festival MUSICA) instruments. Ces commandes débouchent sur les Envoûtements II pour flûte et marimba, les Envoûtements III pour voix, clarinette et percussion et les Envoûtements IV pour quatuor à cordes, réunis sur un CD par leurs interprètes d’origine.

Les Envoûtements V pour guitare et quatuor à cordes lui seront commandés plus tard, conjointement par l’association PROQUARTET, le festival ARS MUSICA et le GMEM, après un détour par d’autres œuvres : To One in Paradise pour voix de mezzo et orchestre,Zéphyr pour piano, Décision/indécision pour instruments à vent et timbales, Élaboration pour alto et piano, quatre œuvres resserrées dans la période féconde de 1999 à 2000.

Suzanne GIRAUD a, à ce jour, composé pas loin de 50 ouvres, allant de l’instrument seul à la grande fresque pour voix, chœur et orchestre (Jaffa, 2001, encore une fois d’après un tableau : « Bonaparte visitant les pestiférés de Jaffa », d’A.J. GROS).

Les Envoûtements VI, co-commande du festival MUSICA et des Percussions de Strasbourg, ont bénéficié, tout au long de leur écriture, des discussions et essais entre Suzanne GIRAUD et les membres des Percussions de Strasbourg. Ils se connaissaient auparavant et avaient déjà eu l’occasion de travailler ensemble, notamment sur Au Commencement était le Verbe pour chœur à 12 voix et percussions, commande de l’association Noël en Alsace réalisée sous la direction de Catherine Bolzinger les 21 et 22 décembre 2002.

Dans les Envoûtements VI, Suzanne GIRAUD fait littéralement décoller de la structure une implication totale de l’interprète et en appelle aussi bien aux instruments qu’à différentes expressions vocales, gestes et mimiques des percussionnistes, ainsi que, dans la mesure du possible, à des jeux d’éclairage. Ici, la construction va jusqu’à rythmer les attitudes, tout en continuant à développer la recherche d’un rebond entre attitude du compositeur, attitude des interprètes et attitude du public, ce qui ne va pas sans quelques artifices de provocation.

Les Envoûtements VI incluent toute une dimension humoristique, en particulier au travers du jeu du tambour à corde, dit aussi « lion’s roar », dont les interventions aux axes de la forme sont autant de clins d’œil voire de « coups de gueule » de la compositrice. On se souviendra alors qu’elle est née sous le signe du….. lion.

Daniel Delrion

Presse

Envoûtements VI, ConcertoNet

Concert donné au Théâtre du Beauvaisis le 5 octobre 2005 – Suzanne Giraud (Le Singe, la Banquise et le Téléphone portable – création ; Envoûtements VIII – création) ; Envoûtements VI) ; Andrew Downes (Huit violoncelles et cinq timbales – création) ; François-Bernard Mâche (Aera)

Elèves des classes de CM1 et CM2 de l’Ecole Claude Debussy – L’Octuor de violoncelles : Jacques Bernaert, Lionel Allemand, Maryse Castello, Robin De Fives, Mi-Sung Kim, Magdalena Ritter-Rebacz, Mimi Sunnerstam, Eric Robineau – Les Percussions de Strasbourg : Jean-Paul Bernard, Claude Ferrier, Bernard Lesage, Keiko Nakamura, François Papirer, Olaf Tzschoppe, Yves Delescluses – dir, Daniel Kawka

[…] La seconde partie était intégralement dédiée à deux des plus récents Envoûtements de S. Giraud, cycle dont chaque pièce obéit à une structure identique et porte un numéro correspondant à l’effectif qu’elle requiert. Troisième création de cette soirée, les Envoûtements VIII sont, bien entendu, destinés à huit violoncelles, ceux de l’Octuor de violoncelles mené par Jacques Bernaert. La difficulté de la mise en place et le raffinement des textures exigent en outre la présence du chef d’orchestre Daniel Kawka. Comme chez Bartok, le soin presque maniaque apporté à la construction ainsi que la parfaite maîtrise des ressources techniques des instruments ne constituent jamais une fin en soi, mais simplement le moyen d’atteindre une expression fusionnant rigueur et lyrisme : si la densité et la richesse du propos (ainsi que la durée – quatorze minutes) évoquent celles des Envoûtements V (pour guitare et quatuor à cordes), la formation réunie autorise par ailleurs des effets de nature plus orchestrale, comme ces accords répétés ou ces cellules qui circulent rapidement d’un groupe à l’autre.

[…] Si les Envoûtements VII, achevés en janvier dernier, ne seront présentés que ce mois-ci à Marseille, Saint-Etienne et Lyon, les Envoûtements VI remontent déjà à 2003 et frappent par un solide sens de l’humour, voire de l’autodérision. En effet, les Percussions de Strasbourg, pour qui l’œuvre a été composée, se transforment ici en chanteurs, mimes ou acteurs : leur propre corps étant en quelque sorte lui-même assimilé à un instrument à percussion, ils bougent, bondissent, rient, émettent des onomatopées et chants d’oiseaux, sifflotent, jettent leurs baguettes par terre, froissent des papiers pour les lancer en direction de la salle et lisent – tous ensemble, autant que possible – des textes qu’ils ont eux-mêmes sélectionnés (cours de cuisine, leçons de karaté, guide touristique,…), cette cacophonie babelesque remémorant curieusement les Swingle singers dans la Sinfonia de Berio… Mais le happening façon années 1970 n’est qu’apparent, la partition réglant minutieusement ces vingt minutes qui alternent sections où les musiciens, bien alignés sur le devant de la scène, se livrent à des joutes verbales scandées par les trépidations des pieds et par les cris rauques du lion’s roar, et sections où, ayant rejoint le pourtour de la scène, usent de modes de jeu plus traditionnels : s’imposent alors soit un calme presque planant, engourdi autour de deux accords à la manière du chœur final des Planètes de Holst, soit un rythme vigoureux, déclenché par les peaux et dont le caractère obsédant semble vouloir s’inscrire délibérément dans le cliché de l’envoûtement. Extraordinairement rafraîchissants tout en réservant un second degré d’analyse plus profond, voire plus grave, ces Envoûtements réjouissent visiblement autant spectateurs et musiciens, parfaitement à la hauteur de ce défi physique et artistique.

Simon Corley

Les envoutements VI, ResMusica

Création mondiale d’Envoûtements VI de Suzanne Giraud par les Percussions de Strasbourg le 8 octobre 2003 à 20 h, dans le cadre du Festival Musica

Rencontre avec Suzanne Giraud à l’occasion de la création d’Envoûtements VI 

La création mondiale d’Envoûtements VI pour six percussionnistes, le cri du lion de Suzanne Giraud par les Percussions de Strasbourg est donnée à Strasbourg le 8 octobre 2003 dans le cadre du Festival Musica.

Rien de plus sérieux et profond que l’humour. Les saltimbanques le savent, et Suzanne Giraud connaît fort bien ce sentiment qui hante les zones les plus mystérieuses de l’être humain. Elle le sait davantage encore depuis qu’elle a posé la barre de mesure finale d’Envoûtements VI qui accumule les facéties, tant pour ce qui est du jeu instrumental que de la scène et du verbe. Après le violon seul avec Envoûtements pour violon écrit en 1996 pour Irvine Arditti, Envoûtements II pour flûte en sol et marimbaEnvoûtements III pour soprano, clarinette et percussionEnvoûtements IV dédié au Quatuor Arditti, trois œuvres nées en 1997, et Envoûtements V pour guitare et quatuor d’archets en 2001, Suzanne Giraud, à la demande des Percussions de Strasbourg et du Festival Musica, a composé Envoûtement VI pour six percussionnistes, situant ainsi clairement cette œuvre nouvelle dans la continuité de ses préoccupations artistiques développées depuis 1996, début du cycle des Envoûtements dont les septième et huitième volets sont déjà en projet.

Photo de Suzanne Giraud ©philippegontier

Envoûtements en tous sens

L’idée fondatrice du cycle des Envoûtements est de rendre musicalement tangible la diversité des sens du terme « envoûtement », notamment le charme qui se transfère de l’inspiration au compositeur, du compositeur à l’interprète, de l’interprète au public. Ce charme circule tel un fluide et finit par former un ensemble de cercles. La mise en voûte du son de l’instrument, c’est-à-dire l’élaboration d’une architecture en forme de voûte, magnifie les capacités de l’instrument et de l’instrumentiste. Les Envoûtements représentent en outre la somme des connaissances que Suzanne Giraud a développées dans ses œuvres antérieures, forme, proportion, couleur, rythme. Le tout est au service de son univers de créatrice, univers qui tient de l’imaginaire, du fantasmatique, du bagage technique, du rendu, mais aussi de l’architecture, qu’elle met ici en regard de sa technique musicale.

L’usage du pluriel dans le titre Envoûtements tient au fait que chacune des pièces du cycle est constituée de plusieurs cercles formant des chapelets d’envoûtements. « Ces sixièmes Envoûtements découlent une fois de plus, mais à leur façon de la grande structure que j’ai mise au point pour le cycle, confirme Suzanne Giraud. Une écriture selon un plan dynamique qui organise l’œuvre en une série de propulsions et accalmies. Elle suscite un mouvement irrésistible, de structure fractale pour que l’unité la plus petite soit le reflet de la mesure la plus grande, celle de l’œuvre entière. Il en résulte une forme composite constituée de lignes de forces qui se retrouvent dans les éléments les plus infimes comme dans les plus grands. Mais tout cela est relégué à l’arrière-plan par le caractère théâtral de l’œuvre. Par exemple : une bonne partie des “angles” de la structure se signalent par le jeu d’un instrument qui s’appelle le lion’s roar (le rugissement du lion). Plutôt que la géométrie de ses interventions, on retiendra le clin d’œil ou le coup de gueule, c’est selon, de la native du Lion que je suis. Au mieux, on captera l’ensemble des significations possibles – sérieuses ou humoristiques – superposées. »

Envoûtements VI, spectacle instrumental, vocal et gestuel pour six percussionnistes

Dans Envoûtements VI, sous-titré « Spectacle instrumental, vocal et gestuel pour percussionnistes », Suzanne Giraud tire de cette structure une implication totale des interprètes et exploite tous les aspects induits de la dramaturgie instrumentale, jeu des instruments, mais aussi usage des différentes expressions vocales, gestes et mimiques des percussionnistes, mise en lumière prédéfinie de l’espace scénique et des musiciens. Ainsi, outre les instruments courants, dans le riche attirail de la percussion contemporaine (y compris le sixxen inventé par Iannis Xenakis et le steel-drum) qu’elle connaît jusqu’en ses possibilités les plus extrêmes, riche de l’expérience acquise par l’écriture de plusieurs pièces pour percussion, du solo (Tentative-univers, 1983) au sextuor (Au commencement était le Verbe, 2002) et de ses nombreuses pages d’ensembles et d’orchestre, Suzanne Giraud a introduit dans la nomenclature d’Envoûtements VI des objets peu usités. 

« Après avoir assisté aux concerts du quarantième anniversaire des Percussions de Strasbourg où intervenait quantité d’accessoires et de jeux de scène, rappelle la compositrice, j’ai eu envie d’aller plus loin encore, mais à ma façon. Ainsi, ai-je fait dans ma partition un descriptif où je précise par exemple “Prenez dans la main droite un instrument de tel encombrement qui tient dans une seule main, etc.” J’ai également fixé deux implantations principales, frontale pour les petits instruments, et spatiale pour les gros, le tout distribué soit sur l’extrême bord du plateau, soit en demi-cercle dans le fond et sur les côtés de la scène. Au lieu de laisser intervenir le hasard, j’ai mis au point une circulation entre les deux implantations, et conçu pour cette œuvre festive et humoristique une scénographie qui détermine une façon de se mouvoir pour passer d’un instrument à un autre. Ce qui induit une pantomime codifiée avec ses propres graphismes. Pour parachever le tout, j’ai fait entrer en ligne de compte la voix et la diction de textes choisis pour leur aspect percussif, instaurant ainsi un contrepoint vocal “bruitique” ».

La partition compte donc quantité d’indications scéniques, singulièrement détaillées et commentées. Le corps joue un rôle important dans la teneur même de l’œuvre, puisqu’il est ici la première des percussions, tout partant de l’instrumentiste et de l’intérieur de son corps. « C’est ma façon de vivre la musique, confie Suzanne Giraud. Et je constate qu’une connivence peut se créer avec les interprètes à partir de cette préoccupation. »

Illusion d’improvisation

Chaque musicien choisit en partie ses propres instruments, mais la partition définit une gamme précise de nomenclature. « Je fais des suggestions pour chacun des musiciens, précise l’auteur. Mais ils peuvent fort bien choisir d’autres instruments que ceux que j’ai indiqués, dans la mesure où ils répondent à un descriptif. J’impose certains instruments alors que d’autres peuvent être remplacés par quelque chose qui leur ressemble ». Outre les instruments à percussion et l’espace, les musiciens se sont vus confier par Suzanne Giraud des textes décrits dans la partition selon un ordre thématique, sélectionnés pour leur emploi immodéré d’un jargon particulièrement abscons au non initié (recette de cuisine « avec beaucoup de mots techniques spécialisés », fable en français « pas très connue », guide touristique de la Toscane « en allemand », cours de philosophie section phénoménologie « à dire après avoir mis de grandes lunettes », leçon de grammaire « très distinguée », scènes de roman policier en américain « à dire en mâchant du chewing-gum », etc.), et laissés au libre choix des interprètes dans la mesure où ils se situent dans la ligne précisée par le compositeur.

« Tous ces textes présentent des rythmes qui ont certainement joué des rôles affectifs à certains moments de ma vie, de mon apprentissage d’enfant, comme la notice de médicaments, confie la compositrice ou de mes années d’école, par exemple la fable, le cours de philosophie. Ces textes ont en commun des termes que l’on comprend plus ou moins, mais qui portent en eux un rythme, une musique. Et l’on percute ou non, mais c’est là un autre sens du mot percute) » (rires). Envoûtements VI fourmille de surprises et de farces faites, à la façon des envoûtements, pour faire rire aussi bien le compositeur et l’interprète que le public, dans le même « chaînage » que le cycle entier. « Mais, l’œuvre finie, dit Suzanne Giraud, je pense que l’auditeur ressentira qu’Envoûtements VI et les événements qui lui sont inhérents sont soigneusement planifiés, tandis qu’en cours d’exécution, il n’aura cessé d’aller de surprises en surprises. Je n’ai rien laissé à l’improvisation, alors que beaucoup de passages paraissent aléatoires. Tel est l’envoûtement ! »

Bruno SerrouResMusica

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