Suzanne Giraud

Envoûtements IV

1997, Envoûtements IV, musique de chambre

Durée : 10′

Effectif : 2 violons, 1 alto, 1 violoncelle

Dédicataire : Irvine Arditti

Création : 4 octobre 1997, Strasbourg Musica, Quatuor Arditti

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Notice de Envoûtements IV

Créé par le Quatuor Arditti dont le leader est le dédicataire, Envoûtements IV représente la force agissante de l’architecture. Sa première audition mondiale a été donnée à Strasbourg dans le cadre de Musica, le 4 octobre 1997, lendemain de la première d’Envoûtements III. Second quatuor à cordes de Suzanne Giraud, né quatorze ans après le premier, Regards sur le jardin d’Eros, ce quatrième volet du cycle est en effet celui de l’envoûtement reçu de la contemplation d’une cathédrale, symbole du passage de la terre au ciel, ou d’une pyramide, ou de tout autre monument qui, reposant sur quatre puissants piliers aurait traversé le temps.

L’œuvre est ainsi placée sous le signe du chiffre quatre. Il s’agit en effet d’un quatuor d’archets jouant sur des instruments dotés de quatre cordes ; l’œuvre se constitue de quatre cercles clairement identifiables puisqu’ils sont séparés en quatre mouvements et régis par quatre couleurs qui, de par l’alternance de leurs interventions, gouvernent la structure. « Il est très facile d’obtenir avec le quatuor à cordes des tessitures communes, convient le compositeur. Mais l’on peut aussi en obtenir de très dissemblables, entre le violon et le violoncelle particulièrement. C’est pourquoi j’ai traité les registres séparément. J’ai également travaillé le geste, les coups d’archet, les modes de jeu. »

Envoûtements IV s’ouvre et se conclut sur de vigoureux accords de grande amplitude. Le premier cercle y fait suivre un épisode tout de finesse et de douceur dont l’élément mélodique va s’élargissant, les quatre archets jouant comme un seul instrument, dans un chatoiement d’étoffe moirée. La densité rythmique et les hauteurs se distendent, les intensités augmentent. Le violoncelle prend soudain le dessus, le compositeur évitant ainsi la réexposition du matériau à rebours. « Le violoncelle m’a poussée du coude, me disant “Et moi ? Et moi ?” », sourit Giraud. Les textures se condensent alors, jusqu’à ce que seuls s’expriment deux instruments sur quatre, alto et violoncelle. Le compositeur se souvient ici du Stile concitato (style agité) des madrigaux guerriers de Monteverdi, fait de notes répétées. Suit le mouvement lent du quatuor. « Nous sommes au plus bas de la dynamique, prévient le compositeur, la tension se ranime en partant de zéro ». Un premier accord se construit telle une grande respiration (les poumons du quatuor). Puis la masse des instruments est survolée par le timbre flûté des harmoniques du violoncelle. L’espace d’un tempo lent amène Giraud à agencer des contrastes faisant voyager l’oreille. Le temps y est dilaté, irisé, suspendu entre deux événements sonores. Les glissandi en harmoniques du violoncelle dénommés « cri de la mouette » apportent ici non pas une illustration, mais une couleur. Les envolées d’harmoniques oscillent d’un instrument à l’autre, du violoncelle au second violon, de l’alto au premier violon, volutes autour des colonnes massives des accords graves et lents.

Le scherzo (tempo capriccioso), fidèle à son rôle traditionnel, allège le propos qui précède. Le début en est marqué par un fort pizzicato commun qui prélude à une joyeuse succession de trilles et de fusées. Suit un jeu d’opposition entre notes tenues (« arco ») et détachées (« pizzicato »). « L’œuvre échappe alors à mes schémas, constate Giraud, le violon m’ayant réclamé malgré ma volonté première à s’évader au-dessus de la trame harmonique. » Ce passage met en exergue le côté ludique par la gestique des quartettistes.

Le finale, qui retourne au tempo du premier cercle, s’ouvre sur un glissando par mouvement contraire, le violoncelle commençant dans l’aigu, le violon dans le grave. Ce mouvement inclut une récapitulation de l’œuvre entière ; les éléments entendus dans les mouvements précédents y surgissent dans un nouvel agencement avant de conclure sur les accords de l’introduction, comme si, la boucle étant bouclée, le quatuor voulait recommencer. Le dernier accord se dilue en broderies, l’œuvre se retirant ainsi sur une note interrogative. Était-ce un rêve ? Était-ce la réalité ?… « La musique est la vie même, insiste Suzanne Giraud, elle raconte ce que je porte du monde, elle est constante évolution, respiration, transformation. Le potentiel sonore qui est en moi se met à vibrer et me fait inventer la suite ».

Bruno Serrou

Musique autrement plus âpre et abstraite, nue comme la pierre de nos cathédrales, en ce sens qu’elle ne repose pas sur un support littéraire ou pictural. Pas d’histoire pour sous-tendre le discours.

« Dans Envoûtements IV, le chiffre quatre détermine le nombre des exécutants, le nombre des mouvements, le nombre des textures sonores alternant dans chaque mouvement et ainsi de suite ». Le quatre est le signe quasiment universel de la perfection et de la complétude : « ce chiffre architecture, nous dit Suzanne, exprime la présence d’une force occulte, une force envoûtante, indécelable et irrésistible qui résulte de la perfection des proportions ». Le quatre est de ces nombres qui sont des schèmes d’ordonnancement du monde aussi bien du point de vue physique (mathématique) que du point de vue psychique (symbolisme numérique). Le quatre comporte la double idée de l’unité et de la totalité « ou si l’on préfère, la conception que la totalité des choses s’offre sous le signe de la quaternité ». (Encyclopédie des Symboles d’Hans Biedermann)

« La musique qu’il génère, poursuit Suzanne, se réfère à lui comme à quatre piliers, tels une cathédrale, un pont ou un dolmen, tout édifice humain qui réalise un passage ». Nous voici édifiés : Envoûtements IV est une œuvre médiatrice, une œuvre qui nous invite au voyage, à passer une rive, à voguer vers d’autres rivages. C’est sans doute le sens de la dernière mesure qui clôt cette musique en forme de point de suspension interrogative. Terminer par une ouverture, mais oui ! Bien sûr ! Les quatre mouvements sont effectivement de caractères différents, mais tous sont de forts caractères !

Le premier bien tranché que j’appellerais volontiers « Élévation » se fraie un passage à grands et vigoureux coups de serpe. Construction à la fois complexe et magnifique que les instruments deux à deux dressent pendant que les deux autres semblent aménager des points de traverse. Le second, mon petit chouchou, je l’appellerais « Arêtes ». La musique en équilibre précaire nous fait cheminer sur un fil le long des arêtes de la construction. Car il ne s’agit pas seulement comme dans le premier mouvement, de bâtir la voûte ; il faut aussi la maintenir ! Il me plaît d’imaginer que le procédé retenu ici par Suzanne est la voûte d’arêtes. Rappelons qu’habituellement la voûte d’arêtes comprend quatre quartiers dont les rencontres forment des arêtes saillantes se recoupant en un faîte commun. La musique nous dessine une haute nef à voûtes d’arêtes telles que l’on peut en voir à Vézelay par exemple. La voûte d’arêtes dans son principe est d’une grande difficulté d’exécution, mais celle-ci disparaît si les arêtes sont soutenues par des arceaux disposés en diagonale. C’est la vocation du troisième mouvement que je baptiserais « Nervures ». La musique reprend d’abord les éléments des deux premiers mouvements. Mais en plus, elle est impulsée par des pizzicati qui constituent autant de points d’appui très exactement comme viennent prendre appui sur les cerceaux en diagonale tous les organes légers, sans rigidité, presque sans liaison les uns avec les autres comme on le trouve dans les plus belles cathédrales gothiques (Voyez Amiens par exemple). Les panneaux de la voûte d’arêtes sont supportés par de fines nervures que la musique toute de sinuosités, nous fait suivre à la façon d’un faisceau lumineux. Vers la lumière nous conduit le quatrième mouvement. Plus exactement, c’est vers un jeu de contrastes ombre/lumière, titre que je proposerais pour ce mouvement. La musique gagne aussi en plénitude comme pour nous redire la perfection du chiffre quatre. De beaux coups d’archet judicieusement placés ajoutent une certaine théâtralité.

J’aime décidément cette idée de voûtement qui conduit au cœur des structures, dans leur intérieur. Suggestion : et si Suzanne nous composait un autre « Envoûtements » où cette fois-ci elle nous montrerait une même structure éclairée de jour puis de nuit comme on le voit le long de nos routes. L’éclairage de nuit met en valeur les lignes de force qui nous échappent souvent en plein jour. Le regard est fondamentalement différent. Ainsi pourrions-nous pousser plus avant le voyage initiatique proposé par la série des quatre premiers « Envoûtements » et du cinquième (pour guitare et quatuor à cordes) actuellement en cours d’écriture.

Vincent Urbain

Envoûtements IV, Henri Tournier

Cyprès doré pris dans le ciel de ma mémoire inachevée

Se flétrit déjà de mes jours la réalité mensongère

Dans l’air limpide et pur il flotte un parfum doux et frais de terre

Je te l’ai dit laisse le soir prendre ton cœur et t’enlever

Pour toi j’ouvrirai sur le monde un éventail de mots nouveaux

Une main tendue vers tes yeux une caresse blanche et blonde

Autour de tes cheveux défaits je tresserai comme une ronde

Et tout le jour nous danserons une valse aux triples échos

Voici venir l’instant béni de l’absolue réminiscence

Celle qui s’offre à nos regards l’heure infinie d’éternité

Que feras-tu demain quand de l’ennui profond surgit l’été

Saison fanée dont les fruits douloureux révèlent ta présence

Et s’il me faut trouver des mots parfaits pour refaire le ciel

S’il me fallait un espace de toi un seul offert aux lèvres

Que je voudrais enfin voir luire un seul instant les simples rêves

Que m’offrent l’eau de ton regard et les rayons d’un grand soleil.

En apprendre davantage sur Henri Tournier, Universitaire, mélomane et organiste amateur

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